Développement

L'intelligence artificielle est-elle une menace ou une opportunité pour les freelances  ?

L’intelligence artificielle va-t-elle vous remplacer ? Voici les métiers à risque et nos conseils pour réagir. 

Commençons par une petite devinette. Quel est le point commun entre ces deux graphiques ?

Les deux sont évidemment liés à l’intelligence artificielle (IA) !

Le premier graphe représente le cours de bourse de Nvidia, constructeur de puces bien connu des gamers pour ses cartes graphiques. L’entreprise a connu un premier boom avec la construction de matériel dédié au minage de Bitcoin, et s’affirme aujourd’hui comme le leader de matériels destinés aux applications d’intelligence artificielle.

Le second est issu de Google Trends. Il indique la fréquence à laquelle l’expression “AI anxiety” est recherchée dans Google. L’anxiété liée à l’intelligence artificielle est un trouble psychologique nouveau, causé par les craintes liées à l’essor rapide de l’intelligence artificielle.

L’IA générative va-t-elle remplacer les créateurs ?

Lors de votre première génération de texte avec ChatGPT, vous avez peut-être eu un moment d’émerveillement : “La machine peut écrire comme un humain !”. 

Mais pour beaucoup de créateurs de contenus (rédacteurs, copywriters, communicants par l’écrit en général), cela s’est accompagné d’une crainte. “Qui va continuer à me payer lorsque des outils comme ChatGPT sont gratuits ?”

 

La trame temporelle semble s’accélérer…

En Août 2022, un artiste remportait un concours d’art numérique avec “Théâtre d‘opéra spatial”, œuvre générée par Midjourney. À l’époque, l’art numérique était encore un travail “à la main” et un débat a eu lieu pour savoir qui était le réel auteur de l'œuvre. Le gagnant invoque son travail : 80 heures d’itérations, près de 900 images, et la superposition de 3 images avec des heures de retouche pour obtenir son œuvre. Il a pu conserver son prix.

En 2023, les acteurs d’Hollywood faisaient grève, craignant d’être remplacés par des clones générés par IA.

En février 2024, OpenAI brise la frontière de la vidéo avec Sora, ce qui inquiète les milieux artistiques et gèle des investissements à Hollywood

Texte, images, vidéos, influenceurs 100% virtuels, mais aussi business plans, présentations Powerpoint… 

Est-ce le moment de se reconvertir dans un secteur qui ne sera pas remplacé ? Devenir chauffagiste ou masseur ?

Nous faisons le point !

Un rappel important : les IA génératives ne créent rien

Dall-E, Gemini, ChatGPT, Midjourney et autres IA sont génératives, pas créatives : elles sont incapables de créer du contenu nouveau (même si elles en donnent l’apparence).

Elles ont besoin d’un long apprentissage sur un corpus (sites internet, forums de discussion, galeries d’images). Ensuite, sur la base d’un prompt, elles alignent les tokens (fragments de mot, signes de ponctuation…) ou colorent les pixels avec le choix le plus probable compte tenu du prompt et du contexte (historique de la conversation, pixels à proximité…).

En d'autres termes, elles régurgitent des éléments déjà présents en base de données, formant un patchwork issu de leur apprentissage. En ce sens, elles sont une nouvelle forme de moteur de recherche. Si vous décidez de creuser le sujet, la CNIL a écrit un très bon dossier sur le fonctionnement de ces modèles.

Avant même d’envisager un hypothétique remplacement des humains par IA, se pose donc dès aujourd’hui la question éthique et juridique du plagiat.

Le droit est encore flou quant au statut des œuvres générées via l’IA. Le consensus actuel est qu’elles ne sont pas soumises à copyright à moins d’avoir été fortement transformées (et encore, Théâtre d’Opéra Spatial n’a pas pu obtenir de copyright). 

Cependant, que l’image finale soit sous copyright ou pas, les artistes originaux se font plagier sans pouvoir dire un mot. De nombreux dessinateurs ont ainsi retrouvé des motifs issus de leurs œuvres originales dans des images générées par Midjourney…

Arrivée de l’IA : quels métiers sont touchés ? 

La banque d’affaires Goldman Sachs estime que deux tiers des emplois peuvent partiellement être remplacés par l’IA, touchant 300 millions de personnes dans le monde.

Sans surprise, la banque recense les secteurs les plus touchés par l’automatisation via AI : 

  • postes de bureau ou administratifs
  • droit
  • architecture
  • ingénierie

Les moins touchés : 

  • maintenance, réparation
  • construction
  • industrie minière

Cette révolution industrielle touche donc les cols blancs. Plombiers et infirmiers ne seront pas remplacés de sitôt !

ChatGPT a fait baisser la demande de prestations de rédaction et chuter les tarifs des rédacteurs

Trois chercheurs d’une université américaine ont cherché à estimer si ChatGPT avait eu un effet sur le marché du travail en freelance.

Ils ont observé le nombre d’offres pour des postes liés à ChatGPT (rédaction, édition) et le tarif des offres sur la plateforme Upwork.

L’étude, disponible ici, a été reprise et illustrée par le Financial Times (nous vous invitons à lire leur article).

Ce qu’il faut retenir : 

  • ChatGPT a entraîné une baisse de la demande pour les métiers de la rédaction : le volume d'offres publiées sur la plateforme freelance a chuté de 3% après ChatGPT, et les tarifs de 10%.
  • La baisse a été homogène quel que soit le niveau d’expérience ou le tarif des freelancers. Autrement dit, l’expérience n’est pas un rempart contre la baisse des commandes.

 

Le site Bloomberry a réalisé une étude similaire sur plus longue échelle. Ici encore, nous vous invitons à lire la totalité de l’article

Les métiers en chute marquée sont la traduction et la rédaction. Bien sûr, corrélation n’est pas causalité, mais il est difficile de ne pas faire le lien…

On constate aussi une forte hausse des métiers de la vidéo. Ici serait hasardeux de faire un lien direct avec l’arrivée de ChatGPT. Il nous semble plus raisonnable d’expliquer cette hausse par l’évolution naturelle des usages d’internet : plus de formats courts (Tiktok, Instagram)... et moins de texte.

Les postes les moins qualifiés ont déjà été supprimés du jour au lendemain 

ChatGPT a déjà fait disparaître tout un pan du secteur de la rédaction web.

Les premières victimes ont été les rédacteurs francophones offshore vivant situés dans un pays à coût de la vie plus faible qu’en France (Madagascar notamment).

Souvent sollicités pour rédiger des textes à des fins de “remplissage” de sites sans enjeu qualitatif, ils sont devenus presque obsolètes du jour au lendemain. 

Côté images, même histoire. Les sites d’actualité n’hésitent plus à illustrer un article par une image générée plutôt que par une image issue d’une banque d’images… et tant pis si, en zoomant, on s’aperçoit qu’un personnage a six doigts. Quant aux photos originales, elles sont de plus en plus rares.

Quid de la qualité ? À l’heure du snack content et de Tiktok, beaucoup d’entreprises sont tout à fait à l’aise avec l’idée de publier un contenu pas parfait tant que le coût est presque nul. 

Entre le “assez bon” pour quelques centimes et le “bon” pour quelques euros, le choix est vite fait pour grand nombre de médias qui peinent déjà à trouver un modèle économique viable…

L’IA est déjà meilleure que nous sur de nombreux domaines

Alors, des pans entiers de l'économie vont-ils disparaître ? 

Les IA génératives de textes sont désormais capables de travailler sur un corpus de plus en plus large. Gemini 1.5 a une fenêtre de mémoire de 650 000 mots… soit une année entière de conversation d’un humain moyen.

Et puisque les IA sont réplicables à l’infini à coût faible, cette capacité de mémoire peut se multiplier : une AI peut retenir tous les textes que vous avez tapés, une autre toutes les pages que vous avez lues, une autre toutes vos conversations… 

Les IA sont donc déjà capables de surpasser les humains dans de nombreux domaines, notamment tout ce qui nécessite un apprentissage par cœur ou une grande mémoire. 

Lorsque l’on regarde l’évolution qualitative de Midjourney sur ces deux dernières années, la progression est vertigineuse. 

De quoi seront-elles capables dans 5 ans ? Et si, cette fois, c’était une révolution plutôt qu’une simple avancée ?

Pour vous aider à prendre du recul, nous vous partageons 5 pistes de réflexion. Chacune peut être prise indépendamment, ou combinée à une autre.

Idée #1 - Se concentrer sur ce que l’AI générative ne fera jamais

L’idée : “Plus il y aura de contenus AI, plus il y aura besoin d’humanité.”

Les IA génératives se heurtent par nature à un mur : les générations sont très lisses. Tout va toujours très bien ensemble, mais rien ne suscite de réaction forte (en sus, elles ont des filtres afin de protéger leur créateur des risques juridiques). 

Or, en tant que fournisseur de services créatifs en freelance, vous êtes justement là pour sortir de la moyenne.

Pas pour faire des phrases grammaticalement parfaites. Ni créer une image composée de couleurs statistiquement cohérentes. Mais pour convaincre, surprendre, faire passer des émotions. 

Écrire, c’est aussi associer des mots qui n’ont jamais été associés ensemble.

Illustrer, c’est créer et développer un style, un langage visuel qui vous aide à adresser les besoins des clients, en leur donnant quelque chose qu’ils n'auraient pas pensé ou pu faire eux-mêmes. C’est une communication entre humains.

Interviewer, c’est poser des questions qui entraînent des réponses qui n’ont jamais été lues auparavant.

Tout ceci nécessite une culture, une capacité à attraper les idées qui sont dans l’air du temps, à faire des références calculées à d’autres œuvres ou d’autres messages.

Pour les textes sans enjeux, ChatGPT peut faire l’affaire. Mais dès qu’il y a des enjeux (convaincre, vendre, se démarquer…), il y aura toujours besoin d’humain et le contenu sera un investissement.

D’ailleurs, même les machines commencent à détester l’IA. Google n’indexe plus les contenus trop similaires, trop “neutres”, trop classiques et trop prévisibles. Les textes issus de ChatGPT sont souvent ignorés par Google et n’apparaissent pas dans les pages de résultats.

Pour suivre cette voie face à l’IA, vous devez donc renforcer encore et encore les compétences liées à votre métier, et proposer à ses clients des prestations toujours plus qualitatives répondant précisément à leurs enjeux commerciaux.

Idée #2 - Adopter l’AI générative et devenir un créateur spécialisé

L’idée : “Ce n’est pas l’IA qui va prendre votre job, c’est ceux qui savent l’utiliser.”

Apprenez à utiliser parfaitement plusieurs outils de génération propres à votre métier, et trouvez comment les intégrer dans votre proposition de valeur au client. Vous deviendrez le freelance spécialiste des textes IA, des images IA, des vidéos IA…

Bien sûr, les marges seront faibles, vous devrez donc vous concentrer sur le volume : par exemple être capable de fournir un lexique de 1000 définitions à votre client avec un prompt sur-mesure, ou des packs de 50 photos inspirantes pour les réseaux sociaux, etc.

L’enjeu du travail devient alors organisationnel (avoir un process et optimiser les coûts).

En version plus qualitative, vous pouvez aider vos clients à apprivoiser ces IA : vendre du conseil ou créer des formations (même si le segment des formations en ligne est assez saturé).

Idée #3 - Utiliser l’IA comme assistant virtuel pour gagner en productivité dans votre métier

L’idée : “L’IA, l’assistant virtuel de ceux qui ne peuvent se payer un assistant humain.”

En tant que freelance, la productivité est un levier pour gagner plus et travailler moins (c’est pourquoi vous devez facturer selon ce que vous livrez et non selon le temps passé).

Qui sait utiliser l’IA correctement peut scaler son activité, gagner plus et/ou prendre davantage de congés.

Les programmeurs ont déjà à leur disposition GitHub Copilot, une IA qui a acquis ses connaissances sur Stack Overflow et GitHub. Bien sûr, ce copilote ne remplace pas un réel programmeur : il pêche notamment par son incapacité à penser plus large que sa propre tâche. Il joue le même rôle que la coloration syntaxique ou la complétion automatique : une aide.

Recherche d’idées, vérification d’erreurs, génération de code simple, sous-titrage, résumé de documents… 

Les IA sont des boîtes à outils : il serait dommage de vous en priver !

Idée #4 - Devenir spécialiste d‘une IA métier (non générative)

L’idée : “Être le premier à maîtriser des logiciels métier enrichis par l’AI.”

De nombreux secteurs verront leurs pratiques "augmentées" par l'IA sans pour autant être remplacés : c'est le moment parfait pour apprendre à utiliser ces outils spécifiques à une industrie.

L’IA ne se résume pas à ChatGPT et Midjourney, il existe dès aujourd’hui des applications industrielles :

  • la reconnaissance d'images pour les diagnostics médicaux,
  • la discussion avec des rapports financiers sous forme de chat pour étudier la solvabilité d’une entreprise,
  • l'analyse des données marketing pour envoyer les emails commerciaux aux bonnes cibles,
  • un chatbot qui apprend sur la documentation interne à l’entreprise pour améliorer le support client,
  • la détection de fuites dans les réseaux d’eau,
  • le repérage des produits périmés dans la grande distribution…

Quel que soit votre secteur, vous avez la possibilité de devenir pionnier dans les technologies qui révolutionnent votre métier.

Affûtez votre veille et soyez le premier à devenir spécialiste : de quoi offrir un service innovant à vos clients et devenir un expert très demandé !

Idée #5 - Devenir freelance informatique spécialisé dans l’IA

L’idée : “Accompagner la destruction créatrice en créant les outils de demain.”

Les postes liés au cloud, au machine learning, aux LLM (Large Language Models) sont très demandés car les personnes qui disposent de ces compétences sont encore rares, et l’IA demande des infrastructures spécifiques.

Bien sûr, ce sont des spécialités du secteur informatique : il sera difficile de vous orienter directement vers ces domaines si vous n’avez pas déjà des solides compétences dans les fondamentaux.

Mais si vous êtes déjà du secteur, ces métiers sont la voie royale du moment et une bonne occasion de se spécialiser (d’ailleurs, connaissez-vous toutes les façons de faire financer vos formations ?).

Ne vous obstinez pas et restez flexibles !

En tant que freelance, vous devez nécessairement coiffer votre casquette de CEO et réfléchir à votre rapport à l'IA. La pire des attitudes serait d’être dans le déni. Vous n’avez pas à être futurologue, mais vous devez être pragmatique et choisir une direction pour votre activité au mieux.

Si votre métier est plutôt créatif, il est possible que les prestations les plus répétitives disparaissent d’ici quelques années : vous devrez très probablement vous spécialiser davantage pour offrir des services de niche à vos clients.

L’enjeu de l’IA est aussi politique. Pour de nombreux chercheurs, lorsque la notion de travail aura été bouleversée par l’AI (après la Singularité), aucun modèle de société ne sera viable si les individus n’ont pas accès au revenu de base universel.

Nous vous déconseillons toutefois d’en faire votre plan B !

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