Chez Acasi, notre mission est de construire un monde meilleur pour les freelances & indépendants. Cela passe non seulement par la simplification de votre vie au quotidien, mais également par une réflexion plus globale sur le statut des indépendants et son évolution. Qui de mieux pour parler de ce sujet que Hind Elidrissi ? Quiconque s'est déjà intéressé à l'écosystème des freelances & indépendants, connaît Hind. CEO de Wemind, la néo-assurance des indépendants et porte-parole du syndicat indépendants.co, Hind a accepté notre invitation pour aborder ce sujet passionnant et prendre de la hauteur sur les enjeux de la protection sociale de demain.
Au programme :
- un tour d'horizon rapide sur la protection sociale actuelle des indépendants
- un retour sur l’impact de la crise sanitaire et les évolutions possibles du statut des indépendants suite à celle-ci
- des conseils concrets pour votre couverture sociale
C'est parti !
Acasi : Bonjour Hind ! Nous sommes ravis de vous recevoir aujourd'hui. La protection sociale est un sujet de préoccupation majeur de nos utilisateurs et de tous les freelances & indépendants en général. Il nous paraissait donc naturel de faire cette toute première interview Acasi avec vous .
Pourriez-vous nous dire d'abord, quel est l'état de la protection sociale des indépendants aujourd'hui ? Où se situent l'État et les acteurs privés ?
Hind :
La protection sociale des indépendants fonctionne en réalité avec une structure équivalente à celle des salariés. C'est l'une des spécificités historiques françaises d'ailleurs, il n'y a qu'à comparer avec les Etats-Unis...
Sur le plan du régime obligatoire, couvert par la Sécurité sociale, un indépendant a des droits comparables à ceux des salariés, sur tout ce qui est absolument essentiel. Les différences se situent surtout au niveau des dispositifs de protection sociale complémentaire. Voyons les choses de plus près.
Pour ce qui est de la santé
Aucune différence entre un salarié et un indépendant au niveau de la couverture santé : le régime obligatoire de la Sécurité sociale couvre autant les salariés que les indépendants.
En termes de protection sociale complémentaire en revanche, dès lors que vous êtes salarié, la mutuelle d'entreprise est obligatoire, alors qu'elle n'est que facultative pour un indépendant. Cela constitue la première différence. La seconde différence réside dans le financement de cette mutuelle santé :
- côté salarié, la mutuelle est financée à 50% par l'employeur. Son prix est inclus dans le package global de rémunération, négocié avec l'employeur
- pour ce qui est des freelances, ils facturent une prestation, puis paient leur mutuelle avec
Il n'y a donc pas de différences notables entre le statut d'un salarié et d'un freelance sur le volet santé, si ce n'est le côté obligatoire ou facultatif de la mutuelle privée. C’est aussi pour ça qu’un freelance doit facturer plus cher qu’un salarié, car il devra payer ses cotisations sociales et sa mutuelle lui-même.
C'est le même fonctionnement pour l'arrêt maladie et les indemnités journalières. Les salariés et la majorité des indépendants ont droit à des indemnités journalières de la Sécurité sociale en cas d'arrêt maladie. Ces indemnités peuvent être complétées par une prévoyance privée, obligatoire pour les salariés, facultative pour les indépendants.
Sur d'autres types de couvertures sociales comme les allocations familiales notamment, pas de différences notables non plus. Elles sont financées par des cotisations sociales des uns et des autres, gérées par la Caisse des allocations familiales et fonctionnent de la même manière pour les deux statuts.
La question des retraites des indépendants en revanche est plus complexe. Les cotisations retraite obligatoires des indépendants sont beaucoup plus faibles que celles des salariés et en cotisant moins, les indépendants ont moins de droits à la retraite. Cela dit, le système reste le même pour les salariés et les indépendants. Comme vu précédemment, c'est l'indépendant qui décide de mettre de l'argent en cotisations retraite supplémentaires ou non.
La différence principale concerne l'accès à l'assurance chômage, ouverte uniquement aux salariés. Les indépendants bénéficient bien d'un système d'indemnisation (appelé ATI), mais il est très peu connu et assez faible. Les indépendants ont la possibilité de cotiser à une assurance chômage privée, mais peu d'indépendants en voient l’intérêt.
Pour résumer, la différence principale de la protection sociale entre un salarié et un indépendant réside pas tant dans le niveau de garanties accordées, mais dans le mode de financement de la couverture sociale, propre à chaque statut. En tant que salarié, il y a une forme de prélèvement à la source sur les cotisations sociales (salariales et patronales). On ne les perçoit pas, elles sont prélevées directement sur le salaire. Un indépendant, en revanche, reçoit l'intégralité de sa rémunération et décide ensuite comment la répartir sur la protection sociale complémentaire.
Un salarié a donc une bonne protection sociale par défaut, alors qu’un freelance est responsable du choix de sa protection sociale.
Acasi : On observe justement chez certains freelances et indépendants une tendance à se concentrer exclusivement sur la nécessité à court terme de trouver des clients et des missions, et donc de rester compétitifs parfois à n’importe quel prix. Beaucoup font l'impasse sur la protection sociale, soit car ils pratiquent des prix plus bas que le prix moyen du marché, soit en décidant de ne pas dédier une partie de la rémunération à la mutuelle ou à la prévoyance, par exemple en plaçant pour la retraite. Quel est votre regard la-dessus ?
Hind :
En choisissant le statut d'indépendant, l'entrepreneur choisit un statut où l'on ne décide pas pour lui, contrairement au salariat où tous les calculs sont faits à la place du salarié. C’est un paramètre à prendre en compte. Un indépendant est complètement autonome dans la fixation de ses tarifs. Un freelance qui souhaite bien gagner sa vie, doit donc facturer en conséquence, en prenant en compte toutes les charges (qu'elles soient liées aux impôts et taxes, mais aussi celles liées à la protection sociale), l'objectif final étant d'être valorisé sur le marché et facturer les prestations à leur juste valeur. En ce sens, le taux journalier moyen (TJM) est le nerf de la guerre de tout indépendant qui réussit. Les tarifs fixés doivent permettre aux freelances & indépendants d'assurer leur avenir, prévu ou imprévu.
Acasi : La crise sanitaire a brutalement révélé l'insuffisance de protection sociale des indépendants. Le Fonds de solidarité mis en place par l'État, a-t-il été suffisant pour les préserver d'une situation compliquée ?
Hind :
Effectivement, il faut admettre que nous avons réussi à avoir en France des aides conséquentes pour le soutien des indépendants (même s'il valait mieux être au chômage partiel en tant que salarié, qu'indépendant au Fonds de solidarité). C'est la première fois dans l'histoire des indépendants, qu’une sorte d'indemnisation chômage leur est versée. Jamais auparavant, ils n'avaient bénéficié de manière aussi massive d'une couverture sociale de ce type. C'est quelque chose qui leur a été d'une grande aide, oui.
Acasi : Pensez-vous que ce dispositif va perdurer dans le futur ou s'agit-il d'un "pansement" temporaire ?
Hind :
Je pense que ce dispositif a des chances de se transformer en quelque chose de durable, car de façon assez structurelle, le statut des indépendants faisait déjà depuis bien longtemps apparaître un déficit de protection sociale pour tous les indépendants en général. La preuve : lorsque nous avons créé le syndicat indépendants.co en février 2020, il n'était pas encore question de crise sanitaire globale. Le constat était simple : il est absolument nécessaire de faire bouger les lignes pour pallier le manque de protection sociale des indépendants. C'est tout l'objectif de la plateforme 3 millions d'indépendants, lancée par le syndicat indépendants.co. On souhaite donner la parole aux indépendants et freelances pour qu’ils définissent de manière collective leurs besoins et objectifs. C'est à eux de décider s'ils souhaitent pérenniser ce système d'indemnisation ou non.
Acasi : Selon vous, se dirige-t-on vers un statut unique pour tous les freelances & indépendants (avec l'unicité du socle de protection sociale que cela implique) ou bien un statut tiers / statu quo ?
Hind :
C'est une bonne question, car ce sont précisément ces deux options qui sont aujourd'hui sur la table : faut-il créer un statut tiers ou bien faut-il que tout le monde ait les mêmes droits ? Je pense qu'à court terme la seconde option n’est pas possible. Pourquoi ? Les régimes sont séparés, les financements sont différents. Il n'y aura pas plus de droits, sans mettre la main au portefeuille. D'une façon ou d'une autre la question du financement finira par se poser, car la protection sociale coûte de l'argent. Difficile de prédire l'avenir la dessus. En revanche, ce qui est certain, c'est qu'un statu quo n'est pas possible : des évolutions sur la protection sociale des indépendants sont attendues et sont à venir. Tout le chantier consiste à savoir à quoi ressemblera cette protection sociale et comment elle s’articulera avec celle des salariés.
Acasi : Vous avez certainement suivi les évolutions du statut des travailleurs d'Uber dans le monde anglo-saxon (qui ont été récemment reconnus comme étant des travailleurs salariés). Selon vous, une telle évolution est-elle possible en France ?
Hind :
D'un point de vue du droit, une telle qualification peut avoir du sens. Pour qu'un travailleur soit qualifié comme étant salarié en France, le critère principal d'un point de vue juridique est le lien de subordination entre lui et son employeur. Si toutes les conditions sont réunies, alors nous sommes en présence d'une situation de salariat. Et effectivement dans le cas d'un chauffeur VTC, on ne peut pas dire qu'il n'y a pas de subordination du tout. Mais le problème, c'est que nous vivons aujourd'hui la troisième révolution industrielle, qui est une révolution numérique et cette révolution n'a pas encore son modèle social. Soit ce modèle social est le salariat, soit autre chose. Mais si c’est autre chose, ça n'existe pas encore. D'un point de vue d'évolution sociétale, économique ou sociale, on pourrait tout à fait avoir un nouveau statut de l’indépendant avec des meilleurs droits qui rendrait caduque le débat sur le statut juridique. Mais le problème aujourd’hui, c’est que ce sujet n’est pas vraiment pensé ni réalisé, donc on analyse les choses avec les cases existantes : salarié bien protégé ou indépendant mal protégé. Mais ça c’est du point de vue du législateur. Du point de vue des plateformes de l’ubérisation (Uber en tête), on a des acteurs qui ne veulent pas entendre parler du salariat, qui nous disent que les travailleurs sont indépendants, mais d’un autre coté, elles veulent absolument fidéliser ces indépendants, contrôler leur travail, les piloter via un algorithme qui utilise le bâton et la carotte, et les rendre dépendants du chiffre d’affaires réalisé sur la plateforme pour leur protection sociale. En gros, elles militent pour un statut tiers où les gens ne bénéficient ni des avantages du salariat (sécurité) ni des avantages des indépendants (liberté). Ils ont les inconvénients des deux statuts. Pour autant, je ne dis pas que ces plateformes sont mauvaises en soi, je dis juste qu’on ne peut pas leur confier la réglementation des statuts des indépendants, parce que les indépendants y perdraient leur liberté sans gagner en sécurité.
Acasi : en attendant de trouver le saint graal, comment les indépendants peuvent-ils agir de leur côté pour changer la donne ?
Hind :
Sur le plan des plateformes d'ubérisation, une loi récente impose de créer de la négociation entre les travailleurs et les plateformes. C'est déjà une avancée, car cela permet de faire bouger les choses de manière collective.
L'autre sujet sur lequel travaille indépendants.co est la refonte des modalités d'exercice du travail indépendant (plateformes ou pas). L'objectif est de donner à ceux qui le souhaitent, l'opportunité de trouver ensemble la bonne voix et décider de manière collective la marche à suivre. C'est à cela que sert un syndicat : défendre les intérêts de ses adhérents.
Acasi : Quelles sont les principales revendications du syndicat indépendants.co ?
Hind :
Nous sommes beaucoup intervenus sur le sujet du Fonds de solidarité pour les indépendants. Nous avons réussi à obtenir sa réouverture en octobre dernier (il ne leur avait été ouvert que lors du premier confinement).
Plus globalement, le syndicat a une double activité : une activité intellectuelle et prospective de réflexion sur l'évolution du statut d’indépendant et une activité concrète de terrain, qui consiste à venir en aide aux indépendants. Par exemple, nous avons créé une Hotline permettant à tout freelance ou indépendant, de nous contacter et poser des questions ou demander des informations. Cela a été mis en place de manière totalement gratuite, car tous les indépendants n'ont aujourd'hui pas les moyens d'avoir recours à un avocat ou un expert-comptable. Il nous paraissait important de faire jouer le collectif et la solidarité.
Nous avons pu traiter des milliers de demandes gratuitement l'année dernière. A côté de ça, le syndicat est financé par les indépendants qui nous font des dons réguliers, entre 5 euros et 500 euros, chacun en fonction de ses moyens..
Acasi : Pour finir et de manière assez concrète, que conseillez-vous aux freelances & indépendants ? Contre quoi faut-il se couvrir en priorité ?
Hind :
À titre individuel, la couverture fondamentale et souvent méconnue des indépendants est le maintien des revenus en cas de maladie ou d’accident (prévoyance). Elle permet au freelance de bénéficier de l'intégralité de ses revenus en cas d'arrêt de travail, et peut couvrir jusqu’à l'âge de la retraite. Wemind garantit les revenus des indépendants jusqu'à 1 ou 2 million, ce qui constitue une couverture conséquente. La prévoyance fonctionne par mutualisation : on ne peut pas la souscrire le jour où l'on tombe malade, il faut avoir cotisé dans le passé pour pouvoir en bénéficier. Il s'agit à mon sens, d'une couverture plus importante que la mutuelle, car on peut toujours en prendre une meilleure. En revanche, lorsque l'on tombe malade sans la possibilité de continuer à travailler et sans avoir assuré ses arrières, le risque est de se retrouver au RSA…
À titre collectif, il faut se poser la question d'un fonds qui jouerait le rôle d'assurance chômage en cas de crise économique. En cas de situation non maîtrisée comme ce fut le cas du Covid, une assurance chômage doit être disponible pour les travailleurs indépendants. C'est un sujet collectif : syndicats, État et indépendants devraient se pencher dessus.
Acasi : Merci Hind pour cet échange riche en enseignements et informations.